Ria de Bilbao

Altos Hornos de Bizkaia

Ria de Bilbao

Ce texte en prose a été écrit lors d’une de mes premiers retours en Biscaye, pays de la jeunesse de mon père, après de longues années d’absence. Après plus de dix années passées à voyager pour mes travaux d’ethnomusicologue en Amérique du Sud, je revenais donc en Biscaye, en plaine crise de la métallurgie lourde.

Dans ces villes du Nord sous des ciels de mâchefer, je remarcherai sans hâte. Mes mains broieront des tours d’acier.

Ici, les haut-fourneaux dégorgeaient leurs métaux en fusion. La fournaise du soir au couchant déverse le trop-plein de ses ors liquides sur un sol de scories et d’orties. Ici, c’était l’enfer d’artifice des banlieues tristes trouées de ces vastes no man’s land bosselés. Dans les creux aux pieds des glissements de glaise des mares troubles reflétaient un faux ciel de cendres, et le visage d’un ouvrier penché.

Ici, les gueules puantes des usines vomissaient des ouvriers hirsutes aux yeux rougis. Ah, les cohortes bruyantes du prolétariat ! Des crachats étoilaient le pavé.

J’ai rompu l’amarre des jours et je vogue remorquant après moi le banc des souvenirs faméliques.

Je reviens, Ria de Bilbao !

Barakaldo, Portugalete et Santurtzi et sa Rue des vignes ! Erandio et sa Mitxelena Kalea où a vécu mon père.

— Non da Aita? Nor bizi da emen?

— Hemen ez da inor bizi! Hiltzea eta ahantzkortasuna.

Au crépuscule, derniers bastions de lumière, les tavernes éclaboussent les rues de leurs néons. Le rioja et le txakoli flattent les gosiers et délient les langues. Quelque part des voix éraillées entonnent l’Eusko gudariak.

Et moi, la nuit venue j’ai la nudité des crimes quand traînant ma nostalgie j’emboîte le pas de la petite ouvrière. Sous sa robe légère s’entrouvrent des abîmes d’oubli.

Erandio, Barakaldo ! Portugalete eta Santurtzi !

C’est le dédale des rues muettes, des usines vides aux vitres brisées. Amas de poutrelles, métal mort avalé par la rouille, collines de ferrailles tordues, monstres sans entrailles flottant sur le Nervión.

Un éclat m’entaille le bras et le blanc de ma chemise s’étoile de rouge sous la morsure. Tout est mort. Mais sous les cendres sommeille une braise.

Un jour viendront des géants mécaniques qui bouteront le feu aux boutiques, écraseront les briques. Il y aura des lueurs d’incendies et la lune sanglante sombrera dans la mer.

Erandio ! Barakaldo ! Portugalete eta Santurtzi !

Je reviens au pays !